Un adieu à son passé

Elle y était. Après avoir serré une dernière fois la main d'Aidan dans la sienne, Félicia descendit de la calèche, promettant à son tendre aimé de revenir. Elle poussa le lourd portail et marcha le long de l'allée menant au manoir des Vipances. A chaque pas elle contemplait le jardin de son enfance, ces chênes, ce saule pleureur à côté de la petite mare, où elle n'avait jamais voulu s'approcher. Sa maison grandissait au fur et à mesure de son avancée, et au fur et à mesure elle se demandait si c'était bien la dernière fois qu'elle allait être accueillie ici comme chez elle.

Le manoir n'était pas aussi imposant que celui des Lestranges, néanmoins il lui avait toujours semblé trop grand pour elle. Loin d'être claustrophobe, elle préférait les petits espaces. Quelque part, peut-être qu'elle n'avait jamais été faîte pour ce genre de vie. Depuis toute petite elle voyait ses parents utiliser des subterfuges pour faire croire à une plus grande richesse, notamment sa mère pour qui le regard des autres importait plus que tout. Elle avait été forcée de jouer le jeu, s'y prenant et trouvant elle aussi que c'était important. Mais maintenant, était-ce du à tous ces changements d'opinions qui lui avaient formé un caractère différent, mais tout cela lui semblait si bête à présent. Pourquoi l'apparence était-elle si primordiale? Au fond, que perdait-elle à ruiner sa réputation à l'école, si elle pouvait être avec celui qu'elle aimait? N'était-ce pas ce qui comptait le plus?

Elle monta lentement les marches, concentrant tout son courage et sa détermination dans ses pas. L'énorme porte en bois massif se dressait devant elle, le blason Vipance trônant au dessus de sa tête. Dans un pentagone marchait un renard (ou un loup? Elle n'avait jamais vraiment su, l'ensemble étant gris et les deux animaux se ressemblants) et sa tête fixait le spectateur avec des yeux brillants, comme s'il allait lui sauter à la gorge. D'après ce qu'elle en savait, cet emblème était du à son ancêtre français qui, lorsqu'il était arrivé en Grande Bretagne, avait décimé une bonne partie du gibier des environs, la chasse étant son activité favorite. Cette explication sous-entendrait donc que cet animal sur le blason serait un loup, imageant la férocité et la soif de sang de son ancêtre, mais de là à l'affirmer...

Elle leva en tremblant la main vers le heurtoir en forme de vipère. Le métal était glacial et elle le laissa plusieurs secondes en l'air avant de se décider à l'abattre trois fois sur la porte. Celle-ci ne tarda pas à s'ouvrir, découvrant Waldy, l'elfe de maison appartenant autrefois à feu son oncle. En le voyant elle regretta de s'être si mal comportée avec lui par le passé, car même s'il voyait l'air craintif de sa maîtresse, l'elfe ne dit mot pour en connaître la cause ou témoigner ne serait-ce qu'un geste de compassion. Heureusement qu'il était obligé de se montrer obéissant et lèche-bottes envers ses maîtres car sinon elle avait l'impression que ça ferait longtemps qu'il lui aurait, lui aussi, joué des tours avec sa propre magie pour la punir de toutes ces années.

Elle avait écrit à sa mère pour la prévenir qu'elle viendrait leur rendre visite ce jour-ci. Elle n'avait pas expliqué le pourquoi, mais avait dit que c'était important. Aussi ne furent-ils pas surpris de la voir arriver dans le petit salon, amenée par Waldy. Sa mère trônait sur le fauteuil central, une tasse de thé à la main. A sa gauche, Figellus regardait sa fille avec inquiétude, ce qui fit presque penser Félicia qu'il était au courant de la raison de sa venue.

« Félicia, te voilà. » fit remarquer inutilement sa mère de sa voix froide habituelle. Elle désigna alors le fauteuil vide à sa droite, tourné vers elle « Assieds-toi voyons, nous n'allons pas te manger... »

*Pas encore* ne put s'empêcher de songer la jeune femme. Timidement, elle s'approcha, évitant de croiser le regard d'un de ses parents et s'assied là où sa mère l'avait montré. Le thé avait été servit pour trois, sa mère tenant sa tasse entre ses mains et deux tasses fumantes étant toujours posées sur la table basse. Celle de son père et la sienne.

« Alors, je t'écoute, qu'y a-t-il de si important pour que tu veuilles venir de toi-même ici plutôt que de le dire par hibou? » sans même lui laisser le temps de répondre elle ajouta d'un ton tranchant « En parlant de hibou, Welborn m'a dit que tu ne répondais plus aux siens, tu as une explication à cela? »
« Eh bien...mère, c'est lié à ma venue aujourd'hui. » réussit péniblement à dire Félicia en relevant les yeux vers sa mère. Voyant que celle-ci avait posé sa tasse pour joindre ses mains sur ses cuisses, attendant ladite explication, la Serpentarde comprît qu'elle n'allait pas lui faciliter la tâche.

« Mère, je refuse de me marier avec Welborn. Je ne l'apprécie pas et ce n'est pas le genre d'homme avec qui je me vois passer ma vie. Je sais que c'est ce que vous voulez, mais c'est à moi de décider que faire de ma vie. »

Alors qu'elle disait ces paroles, sa mère n'avait pas bougé d'un cil, bien qu'elle eût cru voir ses lèvres se pincer imperceptiblement et ses yeux se faire plus perçants.
« Tu quoi?! J'ose espérer que c'est une plaisanterie! » s'exclama-t-elle avec un rire qui sonnait faux. « Tu ne songerais pas sérieusement à faire passer tes caprices avant l'honneur et la prospérité de ta famille! Mais soit, dans ce cas qui choisirais-tu? Car j'imagine que c'est parce que tu as quelqu'un d'autre en tête n'est-ce pas? Alors, de quel Serpentard s'agit-il? De quelle famille que nous connaissons vient-il? »

Ce ton moqueur et faussement complice fut à deux doigts de casser la détermination de Félicia qui se sentît soudain stupide et toute petite face à sa mère, donnant le sentiment d'être plusieurs années en arrière, alors qu'elle venait de faire une bêtise et que sa mère le savait très bien, mais faisait semblant de l'ignorer pour l'humilier et la piéger. La jeune femme baissa les yeux, avala sa salive et remonta le regard vers son père dont le visage était indéchiffrable.

« Ce n'est pas un Serpentard mère. » elle quitta des yeux son père pour tourner de nouveau la tête vers Agila. « Mais il est fortuné et vous n'auriez plus à vous inquiéter de l'argent. »
« C'est l'honneur qui est le plus important, petite idiote! A quoi me sert cet argent si ce n'est pour confirmer notre place parmi les nobles au sang pur?! Car dans ce but Welborn remplit parfaitement les critères! »
« Ça m'est égal, je ne l'aime pas! J'aime Aidan! » s'écria alors Félicia sans s'en rendre compte.
« Aidan? Aidan comment je te prie? De quelle famille de sang-pur vient-il?! » exigea Agila alors que le sang montait à son visage à une vitesse affolante.
« Il n'est pas sang-pur! »
« QUOI?! »
La sorcière se leva de son fauteuil, comme si la réponse de sa fille était un électrochoc.
« J'ai du mal entendre! »
« Vous avez très bien entendu! » rétorqua-t-elle en se levant à son tour.
« Félicia! »

Celle-ci se tourna vers son père qui avait lui aussi quitté son fauteuil et la regardait comme si elle lui faisait peur, son visage, au contraire de sa femme, pâle comme la mort.

« Figellus, as-tu entendu comme moi cette abomination? Un sang de bourbe! » s'exclama Agila comme si Félicia venait de dire une énorme insulte.
« J'ai entendu. » confirma-t-il toujours pâle comme s'il était sur le point de s'évanouir.
« Je me fiche de son sang, je l'aime. Si je dois me marier un jour, ça sera avec lui et pas un autre. »
L'attrapant par les cheveux d'une main ferme, Agila toisa sa fille avec des yeux plein de démence.
« Tu l'aimes hein? Futilité! Tu ne peux être tombée si bas ma pauvre fille! L'amour n'existe pas! N'utilise pas quelque chose d'aussi stupide comme prétexte de ta folie! Te rends-tu compte qu'en refusant d'épouser Welborn tu condamnes notre famille à la ruine, au déshonneur le plus complet, à la mort! Nous n'existerons plus! Nous ferons la risée de toutes les autres familles, nous tomberons dans la pauvreté, en faisant ça tu nous trahis! Tu entends? Tu nous condamnes! »
« Pourquoi l'avis des autres vous importe tant mère?! Je vous ai dit que la famille d'Aidan était riche, vous ne seriez pas ruinés! Seuls les racontars et l'absence d'invitations aux soirées mondaines entreront en jeu. » répliqua-t-elle ironique.
« Notre honneur petite trainée! Après tous les efforts que nous avons fait toutes ces années, tu gâcherais tout pour un sang de bourbe qui ne fait que jouer avec toi! »
« Il m'aime! Un sentiment que vous ne m'avez jamais accordé, bien que je sois votre fille! »
« Tu fais ça et tu n'auras même plus cette place, sache le! »
« Je m'y étais préparée, ne vous inquiétez pas, je savais que vous ne voyiez pas plus loin que vos désirs à vous! Mon bonheur vous importe peu! Je ne suis qu'un pion, un moyen pour vous de vous faire bien voir, je n'ai toujours été que ça, je le vois bien à présent! »
« Je t'ai donné la vie, tu es bien ingrate! Tu me remercies donc en me menant à ma perte?! A quoi cela aura servi alors?! Et tu oses dire que je ne t'aime pas! Et toi, petite imbécile, comment peux-tu prôner ce mirage en trahissant ton propre sang, à nous tourner le dos de la plus horrible des façons pour ton « bonheur »?! »

Félicia, sentant seulement maintenant les larmes couler sur ses joues sous la colère et la déception, se trouvât un instant muette devant cette accusation.
« Et vous, en tant que mère, quelle image donnez-vous en considérant ainsi le bonheur de votre fille comme un déchet, en étant aussi égoïste? Vous pouvez dire que je le suis, mais vous ne l'êtes pas moins! Les véritables parents acceptent les décisions de leurs enfants, ils souhaitent avant tout le bonheur de ceux-ci, ils ne font pas des enfants pour servir leur propre intérêt! »
« Figellus! Dis à cette traîtresse le fond de notre pensée! » ordonna Agila en présentant violemment Félicia sous ses yeux, la tirant toujours par les cheveux, faisant gémir la jeune femme.
Figellus fixa un moment sa fille sans un mot, croisant son regard puis regarda sa femme.
« Malgré toute notre volonté, elle est majeure et on ne peut pas la forcer à faire ce que nous voulons. Va t'en plaindre au Magenmagot, elle gagnera. On ne peut plus décider pour elle. »

La respiration saccadée et les yeux écarquillés d'effroi et d'horreur, Agila soutînt le regard de son mari comme si ses mots mettaient du temps à lui parvenir. Puis elle tourna de nouveau la tête vers Félicia qui la défiait du regard. Elle la lâcha brutalement, la faisant tomber lourdement au sol.

« Tu n'es rien, tu ne vaux pas mieux que ton sang de bourbe de malheur! Vas-t'en de chez moi, tu n'es plus la bienvenue ici. Désormais tu n'as plus aucun lien avec nous, tu es une étrangère, une souillure, je n'ai pas de fille! Inutile d'essayer de revenir un jour dans cette maison, ton sang de bourbe n'aura pas d'autre choix que de t'accueillir chez lui! » elle ajouta avec un air mauvais « J'espère pour toi qu'il ne va pas te lâcher...tu n'aurais que ce que tu mérites. »

Félicia se releva fièrement, faisant face à sa mère.
« Très bien, si vous le prenez comme ça...réjouissez-vous, vous n'êtes pas seule à « ne plus avoir » d'enfant, je pense que votre amie Walburga Black vous comprendra sur ce point. »

Elle chercha alors son père du regard et le trouva posté près de la fenêtre, lui tournant le dos. Impossible de savoir ce qu'il pensait depuis qu'elle était entrée dans la pièce. Il n'avait presque rien dit, ce qui ne l'étonnait pas. Mais que pensait-il d'elle? Etait-il du même avis que sa femme? Lui aussi, ne la considérait-il plus comme sa fille? Cette pensée ne fit que rajouter d'autres larmes le long de ses joues. Dans un geste de provocation, elle but d'un trait la tasse qui lui était adressée et la laissa tomber, la tasse se brisant sur le parquet.

« Merci pour le thé. » conclut-elle comme une invitée prenant congé de son hôte. Elle sortît à pas rapide, Waldy tenant la porte pour lui désigner la sortie. Une fois dehors, elle courut le long de l'allée pour fuir cette maison, fuir ce lieu maudit, cette mère qui ne l'avait jamais vue que comme un pion, qui ne l'avait jamais embrassée ni tenue dans ses bras, qui ne lui jamais adressé le moindre regard de tendresse. Elle quittait son passé, et alors qu'elle refermait le lourd portail en fer, elle ferma en même temps le portail de cette vie passée, de son enfance, de celle qu'elle avait été et qu'elle n'était plus, pour ce diriger vers son avenir qui l'attendait dans la calèche.

Quand il la vit arriver, les larmes aux yeux, les joues rougit, son cœur se serra d'un coup. Étrangement, les deux ans qu'il avait passé à l'hôpital n'était rien face a cette vision. Il n'avait jamais rien vécu de pire que ca. Peut être parce que ca ne le touchait pas directement, mais que ca touchait la femme qu'il aimait, la seule qui avait réussit a faire naitre un sourire sur ses lèvres juste de par ca présence, la seule qui lui avait donné envie de vivre une vie à ses cotés.

Certains penserait peut être qu'Aidan était bête d'envisager mariage et vie commune avec sa première petite amie, mais ils auraient tord. Au fond, en quoi est ce mieux d'avoir un passé amoureux bien rempli ? Lui n'y voyait aucun intérêt. Car le plus important n'était pas le nombre de ses conquêtes, non … Le plus important était de réussir a trouver la bonne, la seule pour qui on serait prêt a mourir.

Mais parallèlement, la présence de Felicia dans sa vie avant fait naitre des angoisses qu'il s'était alors refuser d'envisager : le mariage … ce n'était pas une angoisse, loin de la, mais Felicia voudrait certainement des enfants … Lui ? Il n'en voulait pas, car c'était prendre le risque de leur transmettre ce mal qui était encore dans ses veines, même si il était à l'état latent. Personne ne savait rien dessus, on ne savait pas si il était guéri, ou si ce n'était qu'une accalmie avant l'ouragan. Si c'était héréditaire, ou au contraire si il l'avait attraper au cours de son enfance. On ne savait même pas ce qu'il avait eu !

Aidan ferma les yeux en accueillant la jeune femme dans ses bras, la serrant contre lui avant de laisser une de ses mains remonter sur les cheveux de sa belle et de les caresser doucement. Pour pouvoir être avec lui, elle avait du renoncer à tous : sa famille, sa maison, tout ce qui lui appartenait. C'était injuste ! Et tout ca pourquoi ? Parce que sa mère était sang mêlé ? C'était absurde ! Ça ne comptait pas ! La pureté du sang était une notion qui n'existait plus depuis bien longtemps. Il était sur qu'en fouillant l'arbre généalogique de la famille Vipance, qu'il trouverait un sang mêlé parmi eux, une branche de la famille sans doute renier mais bien vivante.

« Ça va aller ! » lui murmura-t-il dans le creux de l'oreille, pour essayer de calmer ses pleures. « Je suis la. »

Il soupira, sans cesser les mots doux pour essayer de la consoler, de la réconforter. Maintenant, et a cause de pauvre ignorant qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez, elle n'avait plus que lui. Il serait sa famille, et il ferait tout pour la rendre heureuse.